Le dernier amour
Extrait "le dernier amour" de George SAND.
Lettre de Félicie,
« Plus d’espoir, plus du tout …Il ne m’aime plus. Il ne m’aimera plus jamais ! Son cœur est mort, nous l’avons tué. Depuis un an, je lutte pour retrouver son affection ou pour éteindre celle que j’ai pour lui ; je m’efforce de le haïr, par moments je le hais !Une femme peut-elle pardonner le plus sanglants des outrages, l’indifférence ? Et pourtant, je vais mourir pour qu’il me pardonne ! A moi, Morte, il me pardonnera peut-être quelque regret, quelque pitié ; il se souviendra de m’avoir aimée, il oubliera mon crime ; il me gardera dans son cœur, purifiée par le châtiment qu’il n’a pas voulu m’imposer et que je me serai infligé à moi-même. La mort ! C’est tout ce que je peux faire, puisque ma vie ne peut rien réparer. J’ai voulu t’écrire cela. Je ne veux pas que tu croies que je meurs pour toi et que je te regrette. Non, je te méprise et te maudit. Et ne crois pas non plus que je sois en colère contre toi ; j’ai essayé de te pardonner et de t’aimer encore ; que n’ai-je pas essayé depuis un an pour échapper à l’horreur de l’isolement ! Tout a été inutile. Le dégoût que j’inspirais à Sylvestre, j’ai senti que je l’éprouvais pour toi. Lâche, tu vas venir recueillir mon héritage, n’est-ce pas ? tu vas habiter ma maison. Ta femme dormira dans mon lit à tes cotés ! Et, toi, tandis qu’elle reposera à ta droite, verras-tu à ta gauche le cadavre que je serai tout à l’heure ?
Oh ! Mon Dieu, mourir déjà, moi jeune encore et si forte, si remplie de volonté ! Je ne peux pas m’imaginer ce que c’est d’être mort. Je me jette dans l’inconnu comme quelqu’un qui se précipiterait dans les ténèbres, sans savoir s’il tombe dans un abîme ou dans le vide. Peut-être ne tombe ton pas du tout ! On se retrouve peut-être debout et actif, devant quelque tâche nouvelle, avec d’autres êtres, d’autres souffrances, d’autres idées. Ah, pourvu qu’on oublie cette vie que je vais quitter ! Je n’ai pas d’autre désir, oublié ! Ne plus savoir que je suis souillée et méprisée ! A ce prix, j’accepterais avec joie les plus atroces tortures et même les feux et les épouvantes de l’enfer.
Ah ! Je ne sais pas s’il y a un Dieu, mais je sens qu’il y a une justice, car j’ai été bien punie. Après avoir été si heureuse, si
aimée, si honorée, se savoir seule et dédaignée, et sentir qu’on ne peut plus rien pour reconquérir l’estime ! Il ne pouvait rien non plus, lui, il voulait m’aimer, il y avait entre lui et moi, quelque chose qui le repoussait. Il me l’avait bien prédit que, le jour où il ne m’estimerait plus, je lui deviendrais étrangère et indifférente. Tout cela, c’est ma faute. J’aurais t’épouser et te tromper pour lui. Tu me l’aurais pardonné, toi qui n’as pas de cœur et que l’argent console de tout. Voilà ce que je pense de toi, voilà mon adieu. Il le lira, lui à qui je n’ose plus parler. Il crachera sur ton nom et sur mon héritage, qui salirait ses mains pures ; mais il ne crachera pas sur ma tombe. Il y mettra des fleurs, une larme peut-être ! … ah ! Sylvestre, si vous saviez comme je vous aimais !… Mais vous ne pouvez pas le croire, vous ne comprenez pas que l’on aime et que l’on trahisse…- Vous … Non, je ne veux pas lu parler, je l’irriterais. Tout ce qui est moi vivante lui est amer et repoussant. Allons, il faut mourir. J’ai horreur de la mort pourtant, et je n’aurais jamais cru en venir là. J’ai été si souvent et si longtemps malade, que je comptais sur elle pour me délivrer de mes tourments… Mais je guéris, je ne souffre plus de mon corps, et mon âme me torture. Il faut que je me la donne à moi-même, cette mort dont j’ai peur ! Et bien, raison de plus : si j’avais envie de mourir, su=i je me sentais épuisée, infirme, lasse d’agir, où serait le courage, où serait ma punition ?
C’est fini, j’ai bu. Vais-je souffrir ? Sera-ce long ? Je sens de la force à présent, je vois clair dans ma vie, je n’ai pas d’excuse. Sylvestre, admirable ; toi : infâme ; moi : l’orgueil m’a empêchée d’accepter ma déchéance. J’ai sans doute commis un grand crime ; mais à quoi bon s’huilier, puisque rien ne peut l’effacer ? La mort seule … Ah ! Mourir vite ! Oui bientôt. Je ne peux plus penser. Tout est lourd. Tout m’écrase. L’air m’écrase. Tout me … rien ne … Félicie … tente deux ans… morte le … je ne sais plus.